My name is Webb. John Webb. Dès 2006, j'ai vu la chute de Lehman Brothers

Publié le par Sophie Broyet

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My name is Webb. John Webb. Je suis l'homme qui, dès 2006, a vu l'écroulement des subprimes, prévu la chute de Lehman Brothers et la faillite des Etats-Unis*. 

 

J’exerçais alors dans un cabinet-conseil en fusions acquisitions : rachat d'une entreprise par une autre entreprise, gestion d’opérations financières, etc.

 

Je n’étais alors ni visionnaire, ni professeur tournesol, ni prophète économique, ni Cassandre. Tout juste ai-je su anticiper des concepts, des machines et, plus encore, une situation sociétale que le commun des mortels n'aurait même pu suspecter.

 

J’ai vu la faillite de Lehman Brothers, cette banque vieille de plus de deux siècles et ultra-puissante, deux ans avant qu’elle ne soit officiellement annoncée, le 15 septembre 2008 à 0h57.

 

Tests de résistance. Du bidon. On a voulu nous endormir. Quelle incroyable scène dramaturgique. Assis au premier rang de la salle monde, J’assistai à la contamination des bilans des établissements financiers par la détention d'actifs "pourris" inventés au fil des ans. 

 

42 ans. Marié,  deux enfants. 2006 marquait pour moi la date du commencement de la crise économique mondiale la plus grave depuis la Grande Dépression. Elle allait s'étendre à l'économie réelle, aux entreprises, aux ménages endettés, voire aux Etats, avec son cortège de restructurations, de faillites, de suppressions d'emplois et de tensions politiques.


Remise en question de mes dogmes. Effroi. Culpabilité. Parler ou se taire.

De culture orthodoxe, je ne pouvais faire fi plus longtemps de mes principes religieux. J’implorais Dieu de prier pour moi, ma famille, mon pays. J’apprenais les versets du second livre de Timothée : « Si nous ne prêtons pas garde, nos coeurs peuvent être attachés à des "fables" plutôt qu'à la vérité / Une façon de détourner les croyants de la vérité de Dieu est de les ramener à la loi. C'est facile à faire parce que cela nous rend un peu de crédit, mais le Seigneur doit l'avoir en entier / La loi n'a jamais eu pour but d'apporter le salut, mais elle devait démontrer combien l'homme était coupable devant un Dieu saint ».


Je ne gagnais ma vie comme nombre de ces traders vedettes qui palpaient des millions en prenant, certes, des risques monstrueux. Mais je travaillais très dur, très tard, tous les soirs et le week-end. J’en ai accepté des tâches ingrates sans sourciller, des coups de gueule et de sang, une folle la pression maintenue par ma hiérarchie.

 

Ma hiérarchie. La première vers laquelle je me tournai dès 2006 pour lui faire part de mes soupçons. Une hiérarchie froide, sourde, vaniteuse qui me renvoie alors à mon desk. Rapports et emails d’alerte rouge. Les propos d’un fou. Je me retrouve vite aux marges de la profession, nageant à contre-courant, incapable de me faire entendre face à la moquerie, la complaisance et le mépris généralisé. Combattre les prémices de la crise eût-il été de la reconnaître ? Sans nul doute. La nier fut un non-sens.

 

« Puisque ces mystères me dépassent, feignons d'en être l'organisateur ». Je pris la formule de Jean Cocteau à la lettre et décidai - après plusieurs nuits d’insomnie - de prendre femme, enfants et capital sous le bras pour fuir vers la Suède.

 

Pourquoi la Suède ? Pour sa politique d’austérité sévère combinée à un État providence efficace. Pour sa liberté économique malgré les impôts relativement élevés et un marché du travail inflexible. Pour ses entreprises d’électricité, de télécommunications, de transports en commun et de poste confiées au privé. Pour la possibilité de se retirer du système de pension ou d’assurance-chômage public et choisir des fournisseurs privés. Pour la démonstration éloquente, enfin, que le libéralisme est créateur de richesse.


Installé à Stockholm depuis 5 ans maintenant, je ne regrette rien. Je me moque de ce que les Etats-Unis s’effaceront ou non derrière la Chine, la Russie et les Etats du golfe. Je me moque d’assister ou non à la fin de l’empire américain - économie malade, finance morbide, industrie mourante. Tout juste implore-je mon pays natal de réfléchir aux conséquences mondiales de ses actes. Le gendarme du monde est démobilisé. Il lui faut réhabiliter son image sur les plans économique et politique.
 

 

* Ce récit est pure fiction, inspiré d'une histoire vraie


Publié dans Humeur & Tremblements

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